La question de l'indemnisation de la tierce personne temporaire fait souvent l'objet d'âpres débats entre la victime et le régleur. Bien souvent, lors de l'expertise médicale, les experts médicaux se limitent à l'appréciation des besoins en tierce personne en dehors des périodes d'hospitalisation.
La nécessaire reconnaissance des besoins d'assistance par tierce personne durant les périodes d'hospitalisation
En se fondant sur une lecture erronée de la définition de la tierce personne temporaire, les experts considèrent souvent qu'il ne peut y avoir de besoin en aide humaine au cours des périodes d'hospitalisation, caractérisées par l'existence d'un déficit fonctionnel temporaire total. C’est ainsi que la prise en charge en secteur hospitalier semblerait effacer toutes les obligations et contraintes de la gestion du quotidien.
C'est pourtant oublier que la victime, durant la période d'hospitalisation, bien que prise en charge par les services de santé, a nécessairement besoin d'assistance pour l'accomplissement de certains actes de la vie quotidienne, notamment les tâches administratives, mais encore la bonne tenue de sa maison et de son domicile.
En effet, qui viendrait nier qu'une victime, vivant seule au jour de l'accident, se trouvant hospitalisée durant de nombreux jours voire de nombreuses semaines et parfois plusieurs mois, a nécessairement besoin que des proches, des amis, en tout état de cause des tiers, l’aident dans le suivi de son courrier, des devoirs administratifs qui s'imposent à elle, ou encore tout simplement puissent avoir à veiller sur son domicile et pourquoi pas sur ces animaux de compagnie. Si la victime est certes nourrie durant son hospitalisation, il n’en va pas de même pour ses compagnons à quatre pattes…
Qui pourrait nier qu’une mère de famille, qui jusqu'au jour de l'accident, s'occupait de la quasi-totalité des tâches ménagères et qui, du fait de son hospitalisation, doit être remplacée tantôt par son conjoint, tantôt par ses enfants pour l'accomplissement de l'ensemble des tâches qu'elle effectuait auparavant.
L’indemnisation de la tierce personne durant l’hospitalisation reconnue par la Cour de cassation
Dans un arrêt récent de la deuxième chambre civile du 10 novembre 2021 (19-10.058), la Cour de cassation vient affirmer haut et fort que le besoin d'assistance par tierce personne ne saurait se limiter aux seuls besoins vitaux de la victime mais indemnise sa perte d'autonomie, la mettant dans l'obligation de recourir à un tiers pour l'assister dans l'ensemble des actes de la vie quotidienne.
« En statuant ainsi, alors que le poste de préjudice lié à l'assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d'autonomie la mettant dans l'obligation de recourir à un tiers pour l'assister dans l'ensemble des actes de la vie quotidienne, la cour d'appel a violé l'article et le principe susvisés. »
Par cet arrêt, au visa de l'article 1240 du Code civil et du principe de la réparation intégrale, la Cour de cassation vient censurer une décision de la cour d'appel de Versailles qui avait refusé à la victime, l'indemnisation des besoins au cours des périodes d'hospitalisation, besoins qui n'avaient pas été pris en compte par les experts.
La réponse de la Cour de cassation n'est pas que symbolique. Elle vient sans nul doute désormais permettre aux victimes de solliciter l'indemnisation des besoins qui sont trop souvent refusés, voire niés au niveau de l'expertise médicale. En effet, s'appuyant trop souvent sur un strict point de vue médical, les experts omettent d'analyser la situation de la victime avec bon sens et pragmatisme.
L’indemnisation de la tierce personne doit s’apprécier de manière concrète
Certes, ces demandes d'indemnisation de tierce personne au cours de la période d'hospitalisation, doivent faire l'objet d'une parfaite argumentation de la part du demandeur.
Notre cabinet n’a pas attendu l’arrêt de la Cour de cassation pour solliciter l’indemnisation de la tierce personne au cours des périodes d'hospitalisation complète.
Dans un jugement très récent, rendu par le tribunal judiciaire de Niort, nous avons pu obtenir une décision s'inscrivant dans la droite ligne de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 2021.
Dans notre cas, la victime avait été hospitalisée en même temps que son conjoint durant plusieurs mois à la suite d'un accident de moto. Nous avions tenté, déjà dans un premier temps au stade de l'expertise médicale, d'expliquer en quoi notre cliente avait nécessairement eu besoin d'être remplacée par ses enfants et par des proches, pour la bonne tenue de la maison, mais également pour le suivi de l'ensemble des tâches administratives. Il s’était agi de faire reconnaître le besoin d’aide humaine que cette dernière avait nécessité pour de nombreuses tâches qui lui incombaient au quotidien avant l’accident et qu’elle assumait en complément de son activité professionnelle. Nous avions tenté de faire valoir que, par exemple, l'entretien du linge n'était nullement pris en charge par le centre de rééducation, de la même manière que le relevé du courrier, ou encore les soins apportés aux animaux de compagnie présents dans le foyer. Nous avions expliqué qu’en l’absence de Madame au foyer, ils avaient incombé aux enfants, certes majeurs mais continuant à demeurer au foyer familial, de la remplacer et de l’aider dans ces tâches. En effet, durant toute hospitalisation, ce sont logiquement les enfants qui avaient entretenu la maison, récupérer le linge de leur mère pour le nettoyer, relever, apporter et traiter le courrier avec elle.
Naturellement, au stade des pourparlers amiables, ce chef de la demande ne faisait l'objet d'aucun consensus de la part de la compagnie d'assurances.
Devant le tribunal, dans le cadre de l'instance au fond, nous avons là encore soutenu, études sociales à l'appui, que notre cliente avait dû être remplacée dans l'accomplissement de nombreuses tâches et avait donc eu besoin d'une tierce personne par-delà la simple prise en charge par le système de santé.
La réponse du juge est parfaitement motivée en fait et en droit. En effet, le tribunal précise « contrairement à ce que soutient la compagnie, la demande est bien formulée par Madame et pour elle-même. Il importe peu de savoir si les enfants de Madame sont capables de se prendre en charge seuls. Il faut et il suffit qu'au moment de l'accident, ces deux jeunes gens soient encore à la charge matérielle de leurs parents. Par ailleurs, l'entretien du domicile constitue une charge quotidienne. Enfin, Madame allègue, sans être contredite sur ce point, que les services hospitaliers où elle était hospitalisée ne prenaient pas en charge son linge. Les estimations sociologiques évaluent à deux heures en moyenne par jour, le temps de tâches ménagères que passe une femme travaillant à temps plein. Compte tenu du fait qu'une partie de ses tâches n'était plus nécessaire du fait de l'hospitalisation, Madame n'avait pas à préparer le repas, ni pour elle ni pour son mari par exemple. L'évaluation qu'elle sollicite à raison d'une heure par jour, plus basse que les études sociologiques. Il est donc fait droit à la demande. »
Cette décision du fond, semble désormais parfaitement approuvé par la cour régulatrice et s'en est parfaitement heureux.
En effet, le respect du principe de réparation intégrale de la victime nous impose d'envisager l'indemnisation de la situation des victimes in concreto. Le seul regard médical ne saurait à lui seul suffire à la reconnaissance d'une indemnisation pleine et entière. Il faut encore regarder la situation de la victime d'un point de vue concret, situationnel, ce qui nécessite de prendre en considération les besoins y compris durant l'hospitalisation.