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"Où est passé le courage politique en matière de sécurité routière" (Interview dans L'EST ECLAIR - 1 mars 2020)

Dans une interview donnée à L'EST ECLAIR, Maître Vincent JULE-PARADE, Avocat des Victimes de la Route, revient sur son engagement, sa vision de la politique de Sécurité Routière et la place des victimes dans le système judiciaire.

Vincent-Julé Parade, il y a quelques années, vous êtes devenu avocat spécialisé dans la défense des victimes de la route. C’est un événement tragique qui vous a mené vers cette carrière...

Lorsque j’étais petit, ma mère m’amenait souvent assister aux audiences du tribunal à la pause déjeuner. J’étais fasciné par le cé­rémonial de la justice. Je crois que j’étais déjà attiré par ce monde et envisageais d’y tra­vailler. J’ai prêté serment en 2013 et, trois ans plus tard, j’ai ouvert mon propre cabinet à Paris. En septembre dernier, je me suis as­socié avec deux confrères.

Le décès de ma mère, fauchée par un chauffard en 1995, et le procès du responsable m’ont poussé dans cette voie que je me voyais déjà emprunter.

Comment ce drame est-il arrivé ?

Nous habitions en région pari­sienne, mes parents et moi. C’était un vendredi soir de no­vembre, j’avais 12 ans.

Mon père et ma mère sont sortis pour promener le chien avant de m’amener au judo. Un chauffeur routier qui avait fini sa journée rentrait chez lui et les a percutés. Il roulait à plus de 110 km/h et il avait 3 grammes d’alcool dans le sang. Il s’est arrêté après avoir traîné ma mère sur 300 mètres et a roulé sur son corps avant de s’enfuir.

Il a été arrêté le lendemain matin. Mon père, par miracle, a été légè­rement blessé. Ma mère est morte. Ce fut pour moi un cata­clysme. J’étais très proche de ma mère. Pour me protéger, on ne m’a pas dit tout de suite qu’elle était morte et je n’ai pas pu assis­ter à ses obsèques. Ça a créé une fragilité en moi. En même temps, mon père a tout fait pour assu­mer seul. Je ne pouvais pas flan­cher. Alors je n’ai pas craqué. J’ai tenu bon. On m’a vite enfermé dans la case du jeune garçon cou­rageux qui suit son père sans sourciller dans les associations.

Comment s’est déroulé le procès, à la suite du décès de votre mère ?

J’avais 14 ans. C’était en 1997, à Evry (Essonne, NDLR). Et comme cela se passe très souvent au tri­bunal correctionnel, nous avons attendu longtemps avant d’être appelés à la barre. Ma mère était un numéro de dossier pour les magistrats.

Au bout de deux heures, quand nous nous sommes levés, je me suis rendu compte que le mec à côté de qui j’étais assis tout ce temps était celui qui avait tué ma mère. Il était consternant de ba­nalité. Pendant son procès, il a expliqué qu’il pensait avoir ren­versé un chevreuil, ce soir-là. Un pauvre type, lâche. Un père de fa­mille, qui travaillait. Pas un tueur en série.

Il n’a pas eu un mot de regret pour nous. À l’ignominie, s’ajoutait l’indifférence. Il a écopé de trois ans de prison dont 6 mois avec sursis. C’était insupportable. Quand je suis sorti, je n’étais que haine et colère.

C’est d’abord le combat associatif qui vous a permis de vous en sortir ?

Oui... C’est à 20 ans que j’ai craqué. J’ai fait une pause de quatre ans dans mes études et j’ai œuvré pour la sécurité routière dans le milieu associatif.

En fait, très rapidement après l’accident, j’ai suivi mon père à la fondation Anne-Cellier, du nom de cette jeune femme morte dans un accident. Ses parents avaient créé la fondation pour faire avan­cer les choses en matière de sécu­rité routière. Au début, j’y allais pour coller des enveloppes. Et puis nous avons monté un mou­vement de jeunes, sous l’impul-sion de la présidente.

Nous avons été reçus par les conseillers de Jacques Chirac, alors président, par le ministre des Transports, Gilles de Robien. Au début des années 2000, nous avons organisé des événements, y compris à Troyes: distribution d’éthylotests à la sortie des disco­thèques, journées de sensibilisa­tion sur la place de la mairie, flashmob avec l’IUT... Cet inves­tissement m’a permis de rencon­trer des gens qui avaient vécu la même chose que nous.

C’est à cette époque que nous avons fait émerger Sam (celui qui conduit, c’est celui qui ne boit pas) et le permis probatoire. Nous étions très consultés à cette pé­riode. Chirac avait fait de la sécu­rité routière une grande cause en 2002. Depuis, c’est morne plaine.

Quel est votre regard sur la sécurité routière en France aujourd’hui ?

L’insécurité routière est la pre­mière cause d’insécurité en France aujourd’hui. Mais c’est une cause passée de mode, mal­heureusement.

Il faut dire que les grandes me­sures ont été prises. Les radars automatiques installés sous Chi­rac en 2002 ont fait passer un message: il existe une règle et en cas de non-respect, c’est la sanc­tion. Ce dispositif a fait baisser les chiffres.

Maintenant, plutôt que de déci­der de nouvelles règles, il faudrait déjà faire appliquer celles qui existent.

J’ai mon permis depuis quinze ans. Je n’ai jamais fait l’objet d’un contrôle d’alcoolémie au volant et je trouve que ce n’est pas nor­mal.

Les 80 km/h, était-ce une bonne mesure selon vous ?

Je m’en remets aux études pour cela. Je pense que le Premier mi­nistre Édouard Philippe a eu un volontarisme qu’il faut saluer. C’était une mesure impopulaire et il n’a pas lâché, alors que le président Macron ne le soutenait pas beaucoup sur ce sujet.

C’est vraiment ce qui manque aujourd’hui à nos représentants po­litiques. Où est passé le courage politique ? Il y a un tel lobbying des conducteurs et des fabricants d’alcool ! Les élus locaux, les pré­sidents de Départements n’ont pas eu le courage de soutenir les 80 km/h, par peur de ne pas être réélus, sans doute... Mais on n’a jamais sauvé de vies par peur de ne pas être réélu.

Pourquoi est-il si difficile de changer les règles en matière de circulation dans ce pays ?

Vous savez, la voiture pour le Français, c’est comme l’arme à feu des Américains. Vous touchez à sa bagnole, vous touchez à sa li­berté la plus profonde. Il faut voir ce que les gens de­viennent lorsqu’ils sont au volant de leur véhicule. Il y a quelque chose d’animal dans ce compor­tement. Les mots, les attitudes: on n’oserait jamais agir dans la rue ou au supermarché comme on le fait en voiture.

J’ai arrêté les interviews pour la radio ou la télé pendant un mo­ment parce que pour un passage de deux minutes sur l’antenne d’Europe 1, je recevais 150 mes­sages d’insultes sur les réseaux sociaux. Alors que nous interve­nons pour sauver des vies, pas pour embêter le monde !

Vous ajoutez à cela les lobbys et le manque de courage des poli­tiques et vous obtenez un pays où l’on stagne en matière de chiffres. On va rester à 3 600 morts par an pendant encore un bon nombre d’années en se disant que ça passe. Car c’est le prix à payer pour conserver une industrie au­tomobile flamboyante. Comme on l’a fait avant Chirac avec les 8 500 morts par an pendant une dizaine d’années.

Les chiffres se sont largement améliorés, tout de même...

Oui, et il est vrai que des progrès importants ont été réalisés au­tour de la sécurité dans la construction automobile. Des gens sont aujourd’hui blessés dans des accidents alors qu’ils se­raient certainement morts il y a vingt ans, grâce à la sécurité des voitures.

L’alcool et la vitesse sont les premières causes d’accidents graves. Que faudrait-il faire pour que ça change ?

La question de la consommation d’alcool va bien au-delà de la sé­curité routière. À chaque au­dience correctionnelle, on voit cinq ou six personnes convo­quées pour une conduite sous l’empire d’un état alcoolique. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi l’alcoolisation massive des jeunes est-elle si dévelop­pée ? C’est un vrai problème de santé publique.

Une réponse possible serait l’ins-tauration de système antidémar-rage sur les voitures, en cas d’al-coolémie, dans le cas des conduc­teurs qui ont déjà été arrêtés avec un taux supérieur à 0,5 g d’alcool par litre de sang.

Certains dossiers sont drama­tiques sans qu’il n’y ait d’alcool : parfois, c’est la drogue, souvent, c’est le portable. Et la plupart du temps, la criminalité routière est le fait de personnes qui n’ont ja­mais eu de démêlés avec la jus­tice.

Le tchat et les applications mo­biles posent de vraies difficultés. Je me souviens d’un procès, il y a deux ans à Meaux, dans lequel une mère de famille sans histoire et secrétaire de direction s’était prise une voiture de face à cause de son téléphone. Elle voulait si­ gnaler un problème routier sur son smartphone via une appli.

Et parfois, vous rencontrez un pa­py de 75 ans qui a doublé sur une ligne blanche en plein virage et qui a tué la famille arrivant en face. Ou un homme qui a doublé par temps de brouillard parce qu’il était en retard au travail. Et vous vous dites, mais c’est ahu­rissant ! Qu’est-ce qui s’est passé dans l’esprit de ces gens ?

Votre métier consiste à porter la voix des victimes devant les tribunaux. Sont-elles prises en charge de manière satisfaisante en tant que victimes ?

Au quotidien, je me rends compte de ce qu’il y a derrière le mot ac­cident. Il y a la justice qui n’a pas de moyen, les assurances qui ne jouent pas toujours le jeu et font tout pour indemniser au rabais, les procédures dites d’urgence qui font patienter cinq mois dans des tribunaux comme celui de Nanterre. Il faut des experts indé­pendants, une bonne formation pour l’accueil des victimes dans les commissariats et les gendar­meries, et une prise en compte rapide des victimes dans les pro­cédures en référé.

 

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